Chacun sait que les obstacles situés le long des cours d’eau provoquent remous et tourbillons de façon apparemment aléatoire. Imaginez maintenant pouvoir contrôler ces perturbations aux échelles micro et nano : les possibilités d’applications industrielles, scientifiques et médicales sont quasiment infinies…
Un article publié en mai dernier dans Nature Communications décrit comment il est désormais possible de créer des flux liquides sur mesure en plaçant de minuscules piliers à l’intérieur de canaux microfluidiques. En modifiant la vitesse d’écoulement, en multipliant les piliers, en faisant varier leur épaisseur, leur position et leur orientation, des chercheurs de UCLA, Princeton et Iowa University ont pu produire un nombre impressionnant de flux parfaitement contrôlés.
Ce type de recherche va par exemple permettre de séparer facilement les leucocytes (globules blancs) des autres cellules d’un échantillon sanguin, d’améliorer les mélanges dans les applications industrielles ou de réaliser plus rapidement des opérations de type lab-on-a-chip telles que le séquençage ADN ou la détection chimique. Ces secteurs d’activité représentent à terme des débouchés économiques très importants. Ensemble, ils sont en train de révolutionner la microfluidique.
“La plupart des flux microfluides s’écoulent à des vitesses très faibles” explique Baskar Ganapathysubramanian, Associate Professor en ingénierie mécanique à Iowa U. “A ces vitesses, le flux entoure doucement le cylindre et une symétrie se crée entre l’amont et l’aval. Tout ce qui se passe en amont se retrouve exactement en aval. Mais si vous augmentez légèrement la vitesse, ou, pour parler plus techniquement, le nombre de Reynolds, vous cassez cette symétrie et créez un sillage, des vortex et des déformations significatives qui ne demandent qu’à être exploitées“.
Lors d’une discussion à ce sujet, Dino Di Carlo, Associate Professor de bioingénierie à UCLA et lui se sont posé la question de savoir s’il ne serait pas possible de contrôler ces flux en plaçant des micro-piliers à des endroits précis. Utilisant à la fois l’expérimentation physique et la simulation, ils ont analysé cette approche et découvert qu’ils pouvaient effectivement produire des flux prévisibles.
“Chaque pilier possède sa propre signature. En empilant les piliers, nous pouvons créer un nombre impressionnant de déformations, qui peuvent être combinées et ajustées pour une utilisation déterminée ” explique Ganapathysubramanian. “Des outils de ce type permettent de produire et de manipuler facilement des flux afin qu’ils prennent la forme la plus efficace pour l’application recherchée“, ajoute Di Carlo.
Les équations utilisées pour déterminer les flux sont à la fois simples et bien connues des spécialistes, mais le nombre de configurations nécessaires pour résoudre ces problèmes a néanmoins requis l’utilisation de gros calculateurs, en l’occurrence Ranger puis plus récemment Stampede, deux machines installées au TACC (Texas Advanced Computing Center). Pour mémoire, Stampede (8,52 Pflops) est aujourd’hui n° 6 au TOP500 et le plus gros cluster Xeon Phi américain. Pour commencer, plus d’un millier de calculs ont ainsi été “tournés”. L’objectif consistait à faire varier de façon très précise la vitesse d’écoulement des fluides et l’épaisseur, la hauteur et l’angulation des micro-piliers.
“Chaque calcul nous donne une transformation, et toutes ces transformations nous donnent une bibliothèque de transformations” commente Di Carlo. Grâce à elle, il est possible de créer une séquence de piliers capable de détourner les leucocytes vers les bords d’un canal pour les isoler, puis de les rediriger vers le centre, pour les capturer. Plus globalement, la capacité potentielle des piliers à améliorer les mélanges de fluides trouve des applications quasiment infinies, comme par exemple l’évacuation de chaleur lors de la fabrication d’un microprocesseur ou la maîtrise très fine du manufacturing aux échelles micro et nanométriques.
A terme, Di Carlo et Ganapathysubramanian aimeraient “crowd-sourcer” l’identification des flux les plus intéressants pour l’industrie. “Dès que la bibliothèque sera diffusable, pourquoi ne pas imaginer un jeu vidéo dans lequel le joueur devra produire un flux spécifique en sélectionnant différents piliers, en les empilant et en observant le résultat ?”
Ce genre de raisonnement atypique est un des traits distinctifs de Baskar Ganapathysubramanian. C’est ce qui l’a conduit, avec Manish Parashar, directeur du Rutgers Discovery Informatics Institute (RDI2), et Jaroslaw Zola, chercheur dans ce même institut, à mobiliser simultanément les ressources de dix calculateurs situés dans six centres HPC internationaux, dont celui de Castilla-La Mancha en Espagne. Toujours, bien sûr, pour étendre le champs de ses simulations et enrichir la bibliothèque de transformations. Cette fois, plus de 12 800 modèles MPI ont été testés, soit environ 2,8 millions d’heures/cœur sur 16 jours, pour un volume de résultats dépassant les 400 Go.
Les premiers résultats sont mis à la disposition du “public” sur le site Web de CometCloud – qui souligne à ce propos la facilité avec laquelle cette équipe restreinte a pu profiter de ressources de calcul hétérogènes et distribuées pour résoudre des problèmes computationnels de grande envergure. Une publication plus élaborée est par ailleurs en cours de rédaction.
“Cette expérience nous a également permis d’explorer un nouveau paradigme pour la réalisation de recherches computationnelles, et de démontrer que ce paradigme est utilisable avec différents applicatifs. La plupart des codes ayant un workflow similaire, il pourrait en découler un modèle permettant aux scientifiques de ne pas se disperser dans les moyens dont ils disposent. Le schéma que nous avons utilisé peut ainsi être reproduit pour donner accès à de grosses ressources informatiques dans un très large éventail de champs d’application” conclut Ganapathysubramanian pour élargir un peu le sujet.
Son objectif de création d’une bibliothèque de flux microfluidiques – une ressource partagée et “libre” comme le sont aujourd’hui les premières bibliothèques d’impression en 3D – est donc en bonne voie de réalisation. Il est clair que de nombreuses simulations restent à exécuter avant qu’elle n’atteigne un degré minimal de complétude mais, d’ores et déjà, la mise en application des premiers résultats ouvre d’importantes possibilités applicatives dans les domaines de l’industrie, de la science et de la médecine.
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