Verbatim : Jean-François Lavignon, Bull / ETP4HPC
By   |  January 06, 2014

A l’ordre du jour :
• L’ETP4HPC entre “dans le dur”
• Les enjeux de l’indépendance technologique européenne
• Extreme Factory récompensée à SC’13
• Des API pour parvenir à l’Exascale

Propos recueillis par Stéphane Bihan

Monsieur Lavignon, en tant que Président d’ETP4HPC (European Technology Platform for HPC), pouvez-vous nous en rappeler brièvement l’organisation, la mission et les objectifs ?

J.-F. Lavignon : L’ETP4HPC a pour mission de discuter avec la Commission sur les travaux de recherche à mener dans un domaine donné, en l’occurrence celui du calcul haute performance. Cette entité réunit l’ensemble des acteurs concernés, définit les priorités qui lui semblent importantes et communique avec la Commission pour monter des programmes visant au développement du secteur. En termes d’organisation, l’ETP est une association de droit hollandais qui comprend aujourd’hui une cinquantaine de membres. Elle est dirigée par un board au sein duquel siègent des représentants d’Allinea, ARM, BSC, Bull, CAPS Entreprise, CEA, CINECA, Eurotech, Fraunhöfer, IBM, Intel, Jülich, ParTec, STMicroelectronics et Xyratex.

Et combien de membres visez-vous à terme ?

L’ensemble des stakeholders peut représenter une centaine d’organisations réellement impliquées dans la recherche en calcul intensif en Europe. Nous souhaitons également tisser des liens, pas obligatoirement de type membership, avec des utilisateurs de toute taille, de façon à ce qu’ils soient bien informés de ce que nous faisons et qu’ils nous retournent leurs préoccupations. C’est une façon pour nous de mieux nous connecter avec les consommateurs de nos recherches.

L’ETP4HPC a défini un SRA (Strategic Research Agenda) qui trace les grandes lignes d’un programme destiné à renforcer la position européenne au niveau mondial. Quels en sont les axes principaux ?

La première étape a logiquement consisté à définir une vision de ce que l’on souhaitait accomplir. Cette vision est claire : le constat est que le domaine du calcul haute performance est véritablement stratégique, tant pour la compétitivité économique de l’Europe que pour son excellence scientifique. Aujourd’hui, pour être en pointe dans le HPC, il faut être en pointe dans ses technologies. On ne peut plus se contenter d’utiliser des machines ou des logiciels produits par les autres et clamer ensuite qu’on sera en avance au niveau utilisation. L’Europe a besoin d’un tissu de compétences à tous les niveaux, c’est à dire grosso-modo technologies, utilisateurs et services. Pour ce qui concerne plus particulièrement les technologies, les opportunités sont là : on n’avancera pas éternellement sur la seule base du renouvellement de l’existant. D’importantes évolutions sont à prévoir, qui devraient permettre aux acteurs européens d’acquérir de nouvelles parts de marché.

Pour atteindre notre ambition de construire un écosystème HPC solide et qui puisse à terme autofinancer son développement, le SRA a identifié quatre dimensions à développer. Il nous a semblé important de viser les technologies permettant d’atteindre l’Exascale, mais pas uniquement. Sur un plan économique, l’Exascale est un marché étroit – en tous cas par rapport à nos ambitions d’autofinancement.

Cette dimension a bien évidemment un rôle moteur, mais elle n’est pas la seule. Le SRA indique d’ailleurs clairement que la vocation première des recherches à mener porte sur les technologies de base du HPC. A ces deux dimensions complémentaires qui bornent notre horizon s’en ajoute une troisième : le développement de nouveaux modes d’usage. Nous pensons que le HPC va jouer un rôle de plus en plus critique dans un certain nombre de systèmes. C’est ce que l’on appelle le HPC in the loop, c’est-à-dire le contrôle de systèmes très complexes avec beaucoup de données à analyser et à optimiser en temps contraint. Quand on considère également tous les développements dans le domaine Big Data, on voit que les usages du calcul intensif sont en train de se diversifier. Comme ce sont de nouvelles pratiques, il est important d’investir prioritairement dans ces domaines en Europe, pour nous positionner au meilleur niveau mondial.

Le dernier axe vise à la création d’un environnement global favorisant la réalisation de nos objectifs, notamment en termes de formation et d’incitation à l’innovation et à la création d’entreprises. Si l’on veut réussir, cet effort est absolument indissociable de la recherche pure. Voilà, en résumé, les grandes lignes du SRA. Elles y sont déclinées en 6 thèmes techniques incluant pour chacun d’eux une séquence de jalons et des deadlines. L’ensemble est détaillé dans le document officiel téléchargeable sur notre site Web.

PRACE est en charge de fournir l’e-Infrastructure HPC en Europe. Comment se positionne ETP4HPC dans ce contexte ?

Nous sommes très complémentaires. L’Europe a besoin d’être forte dans les technologies mais également d’offrir à sa communauté scientifique les accès les plus performants aux moyens HPC dont elle dispose. PRACE permet cela. Elle offre aux chercheurs du Vieux Continent les meilleurs outils de simulation, ce qui nous permet de maintenir notre leadership mondial dans ce secteur. L’ETP est très favorable à cette dualité, qui par ailleurs favorise les retours des utilisateurs sur les technologies actuelles.

Il est d’ailleurs probable que les technologies que nous allons développer, sur la base de ces retours utilisateurs, enrichiront l’infrastructure de PRACE dans le futur. Cette notion d’apport mutuel est fondamentale. En partageant notre vision des évolutions à venir, nous espérons permettre par exemple aux scientifiques qui produisent leurs propres codes de prendre les bonnes décisions en matière de redesign applicatif.

Dans le cadre du programme Horizon2020, l’Europe compte investir 150 M€ par an à travers la mise en place de cPPP (contractual Public Private Partnership). Que sont ces cPPP exactement et quel est le rôle de l’ETP4HPC dans leur mise en place ?

En fait, ce que nous préconisions dans le SRA, c’est que l’effort global de recherche européen sur le HPC soit d’au moins 150 M€ par an. La Commission a pour sa part estimé qu’un engagement de ce type sur le long terme nécessitait un cPPP. Aux termes de celui-ci, la Commission se dit prête à engager 700 M€ de financement sur sept ans, soit 100 M€ par an, et souhaite que les autres acteurs contribuent à hauteur équivalente. Ce qui reviendrait au total à 200 M€ par an pour les technologies HPC et les centres d’excellence chargés de développer les applicatifs. Nous pensons qu’il existe suffisamment d’acteurs prêts à investir dans ce secteur pour que ce niveau global de 200 M€ annuels puisse être atteint.

Pour revenir plus précisément sur les cPPP, ce sont des structures très légères où siègent des représentants de la Commission et des acteurs de l’écosystème. Le rôle opérationnel d’un cPPP est de permettre les échanges entre ces représentants ; c’est d’ailleurs dans ce cadre que l’ETP va alimenter le programme de la Commission par des propositions. Le SRA en constitue la première. Ensuite, la Commission met en place des programmes qu’elle gère dans Horizon2020 de la même façon qu’elle les gérait dans le FP7. C’est-à-dire qu’elle va publier des appels auxquels les consortiums répondront.

Y a-t-il des différences par rapport au FP7 dans les modalités de financement ?

Oui, la Commission a désormais tendance à vouloir financer à 100 % les projets qu’elle sélectionne. Ce qu’elle attend en contrepartie, c’est que d’autres actions soient directement prises en charge par le financement privé de façon à ce que, globalement, l’effort de recherche soit à la hauteur des 200 M€ envisagés par an. Désormais le contrat est signé entre l’ETP et la Commission et c’est cette dernière qui publie les programmes et qui organise la sélection, avec une recommandation de notre part.

A quelle échéance ces programmes seront-ils arrêtés ?

Un appel devrait être publié en décembre, auquel il faudra répondre en novembre 2014 avec des propositions. A partir du draft publié par la Commission Européenne et les Etats membres, nous avons aujourd’hui une vision assez précise du contenu de l’appel.

La Commission évoque également des centres d’excellence. Quelle sera leur mission concrète et comment vont-ils se matérialiser ?

Sur ces centres d’excellence, nous sommes moins avancés que sur le programme de R&D. Des choses peuvent encore évoluer mais l’idée directrice est de constituer des entités qui préparent les applications de demain et rassemblent les compétences dans un secteur donné. Là encore, la Commission souhaiterait travailler par appel à propositions. Ce sont des consortiums plus orientés recherche qui vont répondre en présentant des projets pour développer, par exemple, des codes de combustion ou des applicatifs liés aux sciences de la vie. Dans un premier temps, on espère voir naître entre quatre et cinq centres, pour aboutir à une dizaine à terme. Chacun aura pour objectif, en plus du développement logiciel, d’animer le secteur en partenariat avec les utilisateurs. Il s’agit là d’actions de formation et de développement de services destinés à la diffusion des applicatifs et des bonnes pratiques HPC qu’elles impliquent.

La capacité à concevoir et à fondre les processeurs est un enjeu crucial pour le HPC et pour l’embarqué. Dans ce domaine, largement dominé par nos amis américains, comment l’Europe peut-elle gagner en indépendance et en compétitivité ?

Ces aspects sont des enjeux de dimension mondiale. L’Europe ne cherche pas à fermer son marché ou à développer des solutions régionales qui pourraient ne pas être au meilleur niveau par rapport à la compétition. L’idée est plutôt d’avoir suffisamment de poids pour être influent dans ce secteur. Si les processeurs sont fondus aux Etats-Unis mais qu’en Europe on a la vision de ce qui va se passer dans ce domaine très particulier, ce n’est pas très gênant. L’essentiel, c’est de pouvoir anticiper les évolutions. On peut être contributeur à un certain niveau même si toute la valeur ajoutée n’est pas en Europe.

L’ETP n’a d’ailleurs pas pour idéal l’indépendance totale de l’Europe sur toutes les briques technologiques. Ce serait assez utopique dans une économie mondialisée. Il nous faut juste suffisamment de compétences sur l’ensemble de la chaîne de valeur pour comprendre les implications de ses évolutions et pouvoir en tirer profit partie sur certains créneaux. En d’autres termes, pour développer une valeur ajoutée en Europe et être au meilleur niveau mondial. Par ailleurs, je pense personnellement qu’il y a des opportunités dans les processeurs en Europe, mais qu’il ne faudra pas considérer comme un échec le fait que la majorité des processeurs continue à être développée en dehors du continent.

Il n’y pas donc pas finalement de criticité à l’indépendance ?

Faire de l’indépendance pour de l’indépendance, ça n’a pas beaucoup de sens. Dans notre secteur, il faut vraiment concevoir l’effort de recherche avec une vision économique. Si le contexte ne permet pas la profitabilité, il n’est probablement pas nécessaire d’investir au delà de la compétence suffisante pour avoir la visibilité de là où on veut aller.

La France est un des quatre pays au monde, avec les Etats-Unis, la Chine et le Japon, à être active sinon indépendante sur l’ensemble de la chaîne de valeur du HPC. Voyez-vous cet état de fait perdurer et, plus globalement, a-t-il encore un sens à l’heure où la dimension régionale européenne prend une importance croissante ?

A nouveau, on ne cherche pas à être indépendant pour être indépendant. On cherche à avoir une compétence suffisante pour être maître de notre destin. Cela dit, au risque de me répéter, des arbitrages sont nécessaires en fonction de critères économiques. Si, à un moment donné, il est plus intéressant d’utiliser des briques qui viennent d’ailleurs, il faut le faire, en prenant soin de garder une bonne compréhension des évolutions technologiques. De cette façon, si les conditions économiques venaient à changer, s’il devenait indispensable de nous remettre à produire de façon autonome, nous serions en capacité de le faire, sans avoir besoin de personne. C’est un point vraiment fondamental.

Puissance de calcul et indépendance technologique sont des enjeux majeurs pour les grands blocs que sont notamment l’Europe, la Chine et les Etats-Unis. Mais pensez-vous que les efforts technologiques, donc financiers, nécessaires pour les prochains passages à l’échelle puissent se concevoir autrement qu’en coopération internationale ?

Ce qu’il faut bien comprendre c’est que la compétitivité de l’Europe dans le HPC doit permettre aux utilisateurs d’être vraiment à la pointe. S’ils attendent des solutions technologiques qui viennent de l’extérieur, ils ne peuvent pas prétendre être en avance par rapport à des concurrents situés dans les zones géographiques où ces technologies sont développées. Par exemple, pour les utilisateurs de codes automobiles, aéronautiques ou oil & gas, il est indispensable de pouvoir anticiper les évolutions. Et la meilleure façon d’y parvenir c’est d’avoir en Europe le tissu, l’écosystème nécessaire pour leur permettre d’avancer dans leurs usages. Ne pas avoir cette capacité en Europe entraînerait un retard sur l’ensemble de la chaîne, avec pour conséquence des effets sur la compétitivité globale de l’économie européenne.

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