Surprenant, ce pronostic ? Pas tant que ça si l’on considère les prérequis culturels, institutionnels et technologiques indispensables pour remporter la palme. A y regarder de plus près, la France est à chaque fois étonnamment bien placée…

Edmondo Orlotti
Channel Sales Director Europe, Professional Solutions Group – NVIDIA

Il faut rendre à César ce qui est à César. C’était, globalement, le sens de la conversation que Frédéric Milliot et moi avions il y a peu lors d’un dîner (modérément arrosé) en plein cœur de la Silicon Valley. Le sujet était La France. Rien à voir avec le HPC initialement, sauf que la question est très vite arrivée sur la table.

En tant que chargé d’affaires chez NVIDIA, mon job consiste à rencontrer les organisations académiques et industrielles pour les amener à envisager l’utilisation d’accélérateurs GPU dans leur recherche de performances applicatives. Il faut de leur part un certain courage pour accepter de plonger dans l’inconnu de nouveaux modèles de programmation, de retravailler leurs algorithmes afin qu’ils puissent tirer parti de ces nouveaux matériels, d’admettre qu’on peut emprunter de nouvelles voies de développement tout en préservant les investissement déjà réalisés. De ce point de vue, je dois dire que la France m’a toujours étonné par sa capacité à adopter de nouvelles approches théoriques et pratiques. Il n’y aurait donc rien de surprenant à ce qu’elle soit la première à posséder une vraie machine exaflopique en production.

Les conditions sont en effet toutes réunies. En plus de la curiosité naturelle et spontanée des gens que je rencontre par rapport à l’innovation, la France bénéficie d’une infrastructure de recherche de haut niveau, à l’efficacité reconnue, capable d’investir à long terme dans les projets indispensables à la prospérité du pays. Or, l’effort global pour atteindre l’exascale ne peut être soutenu que par un environnement d’innovation cohérent et, si j’ose dire, solidaire. Rien à voir avec la précédente course à l’échelle pétaflopique. Les défis à relever impliquent un très petit nombre d’installations au niveau mondial. Il va falloir d’abord créer des centrales électriques de dizaines de Mégawatts, agréger des systèmes d’une complexité encore inédite, développer des applications capable de fonctionner à cette échelle… Mettre au point une telle machine va en réalité traduire la qualité des recherches nationales. Clairement, on s’achemine vers un monde à deux vitesses, où cohabiteront bientôt une élite, très retreinte, et un tiers monde du HPC.

Je ne serais donc pas surpris si la France prenait la tête de cette élite. Plusieurs raisons militent en faveur de ce pronostic. D’abord, un soutien industriel de poids (énergie, aéronautique, défense…). Ensuite, une stratégie d’accès aux ressources HPC intelligemment coordonnée et hiérarchisée. Enfin, et peut-être surtout, une communauté de chercheurs et d’ingénieurs à la fois très active et très diversifiée.

Vue du côté GPU, la France a été la première à déployer un système accéléré d’envergure pour en tester l’efficacité, après quoi la partie hybride GPU a rapidement été installée sur le site Tier-0 du TGCC. Avant cela, c’est BNP Paribas qui fut la première banque à utiliser l’accélération GPU en production pour des applications financières. Des sociétés comme CAPS sont nées avec pour mission d’aider à la programmation des systèmes multi-cœurs alors même que le multi-cœurs n’était encore qu’une alternative exotique aux architectures traditionnelles. A propos d’exotisme, Murex, un ISV français, vient de rendre publiques ses expériences concernant l’exécution de ses propres applications sur un cluster hybride ARM. La liste des projets innovants menés dans l’hexagone est bien sûr trop longue pour être détaillée ici mais force est de constater que, malgré les conditions économiques actuelles, la créativité technique ne faiblit pas dans l’écosystème HPC. Voilà pourquoi, en mon nom personnel, je pense que le pays de Carnot, de Laplace, de Fourier a de bonne chances de remporter la course à l’exascale.