ESA / NASA : des simulations pour chasser les trous noirs
By   |  May 04, 2013

Objets célestes par définition non observables, les trous noirs sont une des clés fondamentales de la compréhension de l’univers. Heureusement, quand l’observation n’est pas envisageable, il reste la simulation…

Selon Einstein, lorsque des objets massifs interagissent, ils produisent des ondes gravitationnelles – à imaginer comme autant de distorsions de l’espace-temps – qui se propagent dans l’univers à la vitesse de la lumière. Si les astronomes ont identifié des preuves indirectes de ces perturbations, les ondes en elles-mêmes ont jusqu’ici échappé à la détection directe. Mais les observatoires terrestres conçus tout spécialement pour cet objectif améliorent jour après jour leur sensibilité, et une majorité de spécialistes s’accordent à penser que cette découverte n’est plus qu’une question… de temps.

Les modèles HPC de fusion de trous noirs révèlent des propriétés indispensables à la mise en place de procédures de détection d’ondes gravitationnelles. La séquence d’images qui suit présente différentes phases de cette fusion et de la formation du disque d’accrétion qui l’accompagne.

L’étude des ondes gravitationnelles a ceci de particulier qu’elle permet aux astrophysiciens de mieux comprendre les lois fondamentales de la physique, et d’approcher au plus près les phénomènes les plus extrêmes de l’Univers que sont la mort des étoiles et la naissance des trous noirs. Un trou noir, rappelons-le, est un objet tellement massif que rien, pas même la lumière, ne peut échapper à sa gravitation. La plupart des grandes galaxies en contiennent un, celui de notre Voie Lactée “pesant” plusieurs millions de fois la masse du Soleil.

En attendant LISA

Phase initiale de la fusion. Les trous noirs vont entamer leur trois orbite finales. Les couleurs tirant vers le rouge représentent les densités gazeuses les plus denses.

Détecter les ondes gravitationnelles en provenance de leur source principale, la collision de trous noirs, pose toutefois un vrai problème. Leur ondulation est si lente qu’elle n’est pas décelable par les installations au sol. Pour ce faire, les scientifiques ont besoin d’instruments spatiaux beaucoup plus puissants tel le futur LISA (Laser Interferometer Space Antenna), une initiative conjointe de l’ESA et de la NASA approuvée par la communauté des astrophysiciens et bénéficiant du statut de projet à haute priorité.

La simulation inclut les champs magnétiques et les effets de la ionisation des gaz sur la formation du disque d’accrétion. A la première des trois dernières orbites, une structure en entonnoir commence à émerger.

En attendant sa mise en service, des équipes internationales utilisent des outils de modélisation sophistiqués pour étudier de façon préparatoire ces fusions de méga trous noirs. Leurs travaux les plus récents cherchent notamment à déterminer si des “flash” de lumière pourraient être observés par les télescopes lorsque les astronomes parviendront à identifier des signaux gravitationnels issus de tels événements.

Spirales binaires

Le mouvement des galaxies est tel qu’elles entrent parfois en collision. “Les trous noirs tournent alors l’un autour de l’autre et perdent de l’énergie orbitale en émettant de fortes ondes gravitationnelles, de sorte que leur orbite tend à se rétrécir. C’est cette trajectoire en spirale qui les amène fusionner pour former un système binaire” explique John Baker, astrophysicien au Goddard Space Flight Center de la NASA.

A ce stade, les trous noirs ont orbité deux fois. Le champ magnétique présent initialement dans le plasma s’est déjà intensifié 100 fois.

A proximité de ces masses titanesques, le temps et l’espace se déforment. Tout comme une perturbation quelconque génère un mouvement d’ondes sur la surface d’un lac, diffuse des ondes sismiques à la surface de la Terre ou fait trembler le contenu d’un pot de confiture, les oscillations cycliques de l’espace-temps aux alentours de ces trous noirs binaires produit des vagues de distorsion qui voyagent à travers l’Univers.

A la recherche d’un flash de lumière

Phase finale de la fusion. Les deux trous noirs sont entourés d’un disque de gaz ionisés extrêmement dense. On peut voir la base de l’entonnoir à faible densité au centre de l’image. Cette structure pourrait servir de tunnel directif aux jets de particules identifiés en théorie, bien que de tels jets n’aient pas été produits par la simulation.

Si les ondes gravitationnelles sont porteuses de nombreuses informations quant aux corps célestes dont elles émanent, elles n’indiquent rien, en revanche, sur la position précise de ces éléments. De ce fait, pour identifier leur galaxie d’origine, les chercheurs ont besoin d’un signal électromagnétique conjoint.

Or, comprendre la contrepartie électromagnétique d’une fusion de trous noirs implique de comprendre également les interactions complexes entre ces trous noirs – qui se déplacent à près de la moitié de la vitesse de la lumières sur leurs dernières orbites – et les disques de plasma qui les entourent. Depuis 2010, des études ont montré que ces phénomènes de fusion pouvaient produire une sorte de flash de lumière dont le spectre va des ondes radio aux rayons X. Mais jusqu’à très récemment, personne ne savait si le phénomène était courant ou si cette lumière était assez puissante pour qu’on puisse la détecter depuis la Terre.

Les trois dernières orbites

Pour étudier ce problème plus en détails, une équipe de l’Université du Colorado dirigée par Bruno Giacomazzo a donc développé un système de simulation qui, pour la première fois, reproduit globalement les dernières phases des processus de fusion de trous noirs. Si les modalités techniques de cette étude vous intéressent, vous la trouverez dans l’édition du 10 juin 2012  des Astrophysical Journal Letters.

Ces simulations visent à analyser les interactions électriques et magnétiques complexes qui modifient le gaz ionisé (phénomènes dits magnétohydrodynamiques) à l’intérieur de l’environnement gravitationnel extrême déterminé par les équations de relativité générale d’Einstein. Elles suivent les trous noirs sur leurs trois dernières orbites et pendant leur fusion, en utilisant des modèles pouvant ou non intégrer un champ magnétique dans les disques de plasma.

Simulations en cascade

Très exigeantes au niveau calcul, ces expériences nécessitent évidemment des applications complexes et une infrastructure HPC d’envergure. Initialement exécutées sur Pleiades, le supercalculateur du centre de recherches AMES de la NASA, elles ont été suivies par d’autres simulations sur Ranger et Discover, deux calculateurs situés respectivement à l’Université du Texas (UT) et au Centre de simulation climatique du Goddard Space Flight Center. L’objectif de ces études complémentaires – et de celles qui vont suivre – est d’identifier les effets de différentes conditions initiales, notamment au niveau des orbites, sur les résultats obtenus.

Ce qui est frappant avec ces deux simulations“, explique Bruno Giacomazzo, “c’est que si l’on inclut un champ magnétique initial dans le phénomène, ce champ s’intensifie très rapidement d’un facteur 100, alors que dans la simulation non magnétisée, le trou noir résultant de la fusion s’entoure d’un disque d’accrétion à la fois plus chaud, plus fin et plus dense.” Dans le magma de turbulences qui avoisine les deux trous noirs en fusion, l’intensification du champ magnétique résulte de sa déformation et de sa compression. Les responsables de l’équipe pensent aujourd’hui que la mesure de cette intensification serait encore plus élevée si l’on exécutait la simulation avec plus de cycles orbitaux.

Lueurs d’espoirs

Deux phases de la simulation de l’émission de radiations gravitationnelles au cours de la fusion des trous noirs. Les champs colorés représentent une composante de la courbure de l’espace-temps. Les halos les plus externes correspondent directement aux radiations gravitationnelles sortantes qui pourraient un jour être détectées par les observatoires.

Autre résultat très intéressant de ces simulations magnétiques : la mise en évidence de la formation d’une structure en entonnoir qui s’étend bien au-delà du disque d’accrétion autour du trou noir. “C’est exactement le type de structure susceptible d’expliquer les jets de particules que l’on observe au centre des galaxies contenant des trous noirs“, ajoute B. Giacomazzo.

L’avancée scientifique la plus importante de ces travaux reste toutefois la mesure de la brillance du jaillissement de lumière résultant des fusions. A partir du modèle magnétique de l’équipe Giacomazzo, on s’aperçoit que l’émission est environ 10 000 fois plus intense que celle identifiée dans des études précédentes – lesquelles ne pouvaient pas, pour des raisons de complexité informatique, prendre en compte l’effet plasma de la fusion des disques.

Ces deux images sont tirées de la même simulation. Les zones en jaune à proximité des trous noirs ne correspondent pas aux structures physiques mais indiquent globalement les endroits où les interactions de champs gravitationnels non linéaires pourraient avoir lieu.

Cette avancée pourrait donc être déterminante pour l’avenir des recherches en astrophysique à court et moyen termes. “On a besoin des ondes gravitationnelles pour confirmer qu’une fusion de trous noirs a eu lieu“, précise John Baker. “Mais si on arrive à comprendre suffisamment clairement la signature électromagnétique de ces fusions, on peut probablement se mettre en quête d’événements observables avant même de disposer d’observatoires spatiaux…

 

[En détails]

Au cœur de Pleiades

D’origine SGI, le supercalculateur de l’AMES Research Center se situe aujourd’hui au 14ème rang du Top500. Composé principalement de 11 920 nœuds Intel, auxquels s’ajoutent 64 nœuds d’accélération GPU, il atteint une puissance de crête de 1,79 Pflops – chiffre à ne pas confondre avec sa performance Linpack, qui atteint pour sa part 1,24 Pflops. L’architecture globale du cluster est la suivante :

 

Calcul :
– 184 racks SGI ICE (11 920 nœuds, 129 024 cœurs)
         – 1872 nœuds E5-2670 (Sandy Bridge)
         – 4 608 nœuds X5670 (Westmere)
         – 1280 nœuds X5570 (Nehalem)
         – 4096 nœuds E5472 (Harpertown)
– 2 racks (64 nœuds, 32768 cœurs) avec GPU NVIDIA (Tesla M2090) de 43 Tflops
– 237 To de mémoire totale

Connexions :
– Liens inter-nœuds InfiniBand, topologie hypercube 11D
– Connexions InfiniBand DDR, QDR et FDR
– Réseau 10 GbE

Stockage :
– Système SGI InfiniteStorage NEXIS 9000
– 12 systèmes RAID DDN de 9,3 Po au total
– 6 systèmes Lustre “clusterwide”

Exploitation :
– OS : SUSE Linux
– Compilateurs : Intel et GNU (C, C++ et Fortran)
– MPI : SGI MPT, WVAPICH2, Intel MPI

© HPC Today 2024 - All rights reserved.

Thank you for reading HPC Today.

Express poll

Do you use multi-screen
visualization technologies?

Industry news

Brands / Products index