Simulations de formations d’étoiles à petites et grandes échelles
By   |  October 14, 2013

Le processus de formation d’étoiles fait l’objet d’une étude très active depuis maintenant plus de 50 ans. Il implique l’effondrement d’un cœur dense de nuage moléculaire sous l’effet de sa propre gravité, qui voit la température augmenter en son centre avec l’accroissement de la densité et de la pression généré par la compression. Au cœur du système, la température devient finalement si élevée que des réactions de fusion nucléaire prennent vie, faisant naître la proto-étoile. Cette succession d’événements s’opère sur une large variété d’échelles spatiales, d’où l’entrée en jeu de nombreux processus physiques (hydrodynamique, transfert radiatif, champ magnétique, etc…) qui explique que les études théoriques de formation d’étoiles ont toujours constitué un défi.

Fig. 1 – Visualisation 3D d’une simulation de formation d’une proto-étoile à partir d’un nuage moléculaire de 1 masse solaire. Les isosurfaces de densité révèlent la structure très compacte de l’objet central, ainsi que la présence d’un disque d’accrétion et d’un jet bipolaire.

Les simulations numériques de formation d’étoiles ont réellement débuté à la fin des années 60 avec de simples calculs à une dimension, et ont beaucoup évolué depuis, incluant toujours plus de physique et de résolution dans les modèles. Récemment, les simulations ont mis en évidence le rôle crucial du transfert radiatif et du champ magnétique dans les premiers stades de la formation d’étoiles, qui limitent la fragmentation et la formation de disques au sein des objets en phase d’effondrement. Cependant, les simulations n’incluent habituellement qu’un seul de ces mécanismes (couplé à l’hydrodynamique) du fait de la complexité toujours grandissante de l’implémentation et du temps de calcul requis. De surcroît, ces simulations utilisent en général des approximations parfois brutales, telles qu’une intégration sur les fréquences du transfert radiatif ou la magnéto-hydrodynamique (MHD) idéale. Le but de notre projet était de réaliser des simulations de formation d’étoiles contenant une physique ultra-détaillée, incluant du transfert radiatif multifréquences ainsi que de la MHD résistive, à l’aide des tous derniers développements que nous avons implémentés dans le code à maillage adaptatif RAMSES.

Le Challenge

A – Simulations de formation d’étoiles au sein de nuages isolés

Notre projet comprenait deux parties séparées mais complémentaires. La première avait pour but de réaliser des simulations tridimensionnelles de l’effondrement de nuages moléculaires gravitationnellement instables isolés en incluant la physique la plus complète/réaliste au monde. Grâce à nos calculs, nous avons voulu suivre l’évolution du nuage en effondrement depuis son état diffus initial (presque transparent), à travers la formation du premier cœur de proto-étoile lorsqu’il devient optiquement épais, jusqu’à la création de la graine de proto-étoile, avec des températures excédant les 50,000 K. Ces calculs on nécessité une résolution de maillage colossale, compte tenu de l’étendue spatiale des divers stades d’évolution : le nuage initial a une taille de l’ordre de plusieurs milliers d’unités astronomiques (UA = distance Terre -Soleil = 150 millions de km), le disque d’accrétion qui se forme autour du premier cœur mesure quelques dizaines voire centaines d’UA, et la proto-étoile a un rayon typique de 0.001 UA.

Nous avons ainsi modélisé l’évolution de l’effondrement de nuages de 0.05, 0.1, 1, 3, 10 et 20 masses solaires. La physique comprend la résolution de l’hydrodynamique eulerienne du gaz couplée au transfert radiatif (méthode de diffusion à flux limité mono-et multi-fréquences) et au champ magnétique (incluant les effets de diffusion ambipolaire et ohmique). Les simulations commencent avec un cœur de densité et température uniformes et gravitationellement instable. Il leur est appliqué un champ de vitesse perturbé (sans forçage) pour reproduire la turbulence présente dans les nuages moléculaires du milieu interstellaire.

Sept simulations on été réalisées sur 192 CPU pendant 10 jours (les différentes simulations ont chacune tourné sur 12 à 32 CPU), ce qui équivaut à 46 080 heures CPU. La parallélisation du code RAMSES est réalisée en MPI.

Pendant la phase d’effondrement du cœur, la densité, la température et le champ magnétique augmentent de manière dramatique au centre du système. Une proto-étoile très compacte se forme rapidement et continue d’accréter la matière contenue dans l’enveloppe environnante grâce à sa forte attraction gravitationnelle. La turbulence, qui génère du mouvement légèrement supersonique aux grandes échelles, infère par conservation du moment angulaire une forte rotation à la proto¬étoile, ce qui conduit à la création d’un disque d’accrétion autour de l’objet central. Ce disque est visible sur une visualisation 3D de la proto-étoile et de son environnement (Fig. 1), ainsi qu’un flux bipolaire (jet) génére et collimaté par l’amplification du champ magnétique.

Fig. 2 – (a) Champ magnétique en fonction de la densité du gaz pour toutes les cellules d’une simulation de formation d’étoile utilisant la prescription dite idéale de la MHD. (b) Résultats pour la même simulation mais utilisant la MHD non-idéale. (c) Température du gaz en fonction de sa densité pour toutes les cellules de la simulation. La ligne rouge indique ce qui serait obtenu en utilisant une “recette” au lieu d’inclure un traitement réaliste du transfert radiatif.

Nos simulations ont révélé l’importance d’inclure proprement les différents mécanismes physiques dans les modèles de formation d’étoiles. En effet, on compare dans la Fig. 2 le champ magnétique en fonction de la densité du gaz dans une simulation à MHD idéale (a) à la même simulation effectuée en incluant proprement les termes de correction (b) nécessaires pour représenter les collisions entre les particules chargées et les neutres (dans l’approximation idéale, on ne distingue pas les deux espèces, elles sont totalement couplées). Le champ magnétique est très fortement amplifié à hautes densités dans le cas idéal, ce qui génère d’importants effets non-physiques dans les simulations, tels qu’un freinage excessif de la proto-étoile en rotation, conduisant même dans certains cas à la faire tourner en contresens. L’utilisation de la MHD résistive met en évidence une barrière de diffusion qui empêche le champ magnétique de croître trop rapidement, ce qui supprime tous les effets de contre-rotation ou d’amplification catastrophique du champ magnétique.

Nos résultats montrent également que l’utilisation d’un modèle évolué pour coupler le transfert radiatif au gaz a un impact majeur sur la thermodynamique du gaz. La Fig. 2c présente la température du gaz en fonction de sa densité pour toutes les cellules de la simulation. Habituellement, une “recette” est utilisées dans les simulations de formation d’étoiles pour imiter les effets des interactions du transfert radiatif avec le gaz (chauffage, refroidissement) et ainsi réduire considérablement les coûts en calcul. Cependant, en utilisant cette recette (appelée équation d’état barotropique), la température est une fonction fixe et monotone de la densité, représentée par la courbe rouge sur la figure. Il est évident qu’un chauffage important opère sur le gaz autour de la proto-étoile (qui se trouve aux plus fortes densités). Ce chauffage va avoir un effet considérable sur les propriétés du gaz, réduisant notamment son aptitude à fragmenter et former des systèmes proto-stellaires multiples. L’inclusion du transfert radiatif à part entière est donc indispensable pour reproduire les statistiques observées des populations d’étoiles dans l’univers.

B – Simulation globale de formation d’étoiles à partir d’un nuage de 200 masses solaires

Le seconde partie de notre projet portait sur une étude plus globale du phénomène de formation d’étoiles. Nous avons réalisé une simulation unique de l’effondrement d’un nuage de 200 masses solaires incluant turbulence, transfert radiatif et MHD non-idéale. Le domaine simulé mesure presque 7 années lumières de côté (ou environ 66,000 milliards de km). Pour cela, nous avons mobilisé 256 CPU pendant 10 jours consécutifs, ce qui équivaut à 61 440 heures CPU.

Fig. 3 – Visualisation 3D d’une simulation de formation d’une proto-étoile à partir d’un nuage moléculaire de 1 masse solaire. L’entortillement des lignes de champ magnétique (orange) est à l’origine de son amplification et de l’éjection bipolaire.

Les lois empiriques des nuages moléculaires dictent que la turbulence est plus importante sur les grandes échelles. Nous avons donc utilisé ces lois (dites lois de Larson) pour calibrer notre champ de vitesse turbulent initial. La forte turbulence conduit à la formation de nombreux filaments dans le nuage moléculaire, qui sont visibles sur la Fig. 3. Ces filaments sont les sites de formation des futures nouvelles étoiles. Les simulations globales sont très importantes pour l’étude statistique de la formation d’étoiles dans les galaxies car elles permettent d’extraire des données cruciales sur le taux de formation des étoiles (quelle proportion du gaz interstellaire est convertit en étoiles) et sur la formation des systèmes stellaires multiples (dont l’origine est toujours inconnue).

Les perspectives

Beaucoup de travail d’analyse reste à effectuer sur le volume de données généré par nos simulations, avec en particulier une étude plus complète de l’effet de la masse initiale du nuage isolé sur les propriétés de la proto-étoile. Nous devons également terminer certaines simulations qui n’ont pas eu le temps d’arriver à terme pendant les dix jours du méso-challenge.

Grâce à cette opportunité, nous avons bénéficié d’un accès extrêmement rapide à un grand nombre de CPU. La semaine de réservations sur les nœuds nous a permis de tester notre code et, entre autres, de trouver et corriger quelques petites erreurs qui persistaient. Nous aimerions adresser un remerciement tout particulier à C. Pera et H. Gilquin pour leur disponibilité et leur efficacité pendant toute le durée du projet.

N. Vaytet (1), J. Masson (1), B. Commerçon (1), M. González (2), G. Chabrier (1)
(1) Centre de Recherche Astrophysique de Lyon, ENS Lyon, Université Claude Bernard / Lyon 1 ;
(2) Université Paris Diderot, CEA Saclay, Service d’Astrophysique.

[Cet article fait partie du dossier Journée Meso-Challenges 2013 : le compte-rendu !]

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